Dans la série « elle est partout mais ne se dit nulle part », la maltraitance doit trôner parmi les premières places dans les organisations du travail social. En effet, il est très rare que des professionnels du social se forment et se diplôment dans l’intention de nuire à des personnes vulnérables. Le préfixe mal invite aussi à un certain manichéisme qui ne rend pas service à la cause. Les maltraitants c’est facilement les autres, là où il y a des cas extrêmes que relèvent les reportages télés à sensation ou les affaires comme récemment celle qui implique le premier ministre en exercice. Toutefois, à s’y pencher de près, définition de la Haute Autorité de Santé dans les mains, nombre de pratiques quotidiennes peuvent être en « feu orange » et le restent assez longtemps.
Ainsi en va t’il de tous les établissements qui sont trop légers dans l’information aux personnes sur leur droits, voir au déni de ceux-ci. Ainsi, même dans une chambre d’hébergement dont la personne n’a pas de titre de locataire, même dans un collectif, le lieu est considéré par le droit comme « chez lui ». Il s’accompagne donc d’un droit absolu au respect de l’intimité et tout non respect de ce droit pour des prétextes de sécurité ou de contrôle social sans le consentement de la personne ne sont pas permis. Oui c’est un chemin plus long de chercher l’adhésion et cela demande une remise en question qui n’est pas toujours simple.
Dans un registre proche, les menaces de sanction ou d’abandon, d’exclusion dans une situation asymétrique d’accompagnement sont observés dans de nombreuses situations. Lorsque la relation d’accompagnement ne se fonde pas dans une relative confiance, est-ce à la personne hébergée de subir une pression pour des raisons de « non adhésion » ? N’y a t’il aucune autre solution ?
Et la sanction ? Parlons en, l’absence de sanctions peut être maltraitant, tout comme des sanctions inadaptées fondées sur de l’arbitraire (comment est définie la non adhésion précisément ? A partir de quelle limite un comportement est violent ou agressif, non respectueux ?)
Toutes ces limites sont plutôt dans le registre psychologique, mais nous pourrions aussi aborder les maltraitances dans la catégorie des négligences ou abandons. Les référentiels de la HAS invitent par exemple à se pencher sur le cas de « l’absence de recherche de relais ou de continuité d’intervention suite à un départ ou rupture d’intervention »
Enfin, l’exposition à un environnement violent est aussi un critère de maltraitance, les recommandations de l’autorité d’évaluation invitant les institutions à mettre en place des modes de régulation de celle-ci dans leurs pratiques.
Ainsi, évaluation de la qualité des prestations, mieux-être au travail, prévention des risques psycho-sociaux, moins d’absentéisme et de rotation d’effectifs sont des notions profondément liées. Les recommandations de la HAS oublient toutefois le registre systémique, générateur lui aussi de violence comme par exemple : mise à la rue après un placement, sortie sèche d’incarcération sans solution, insuffisance de réponse positives aux appels au 115, OQTF… c’est le registre ou seule notre mobilisation peut contribuer à changer les choses.
La première responsabilité des terrains professionnel et de ses acteurs est au moins de sortir du déni, se dire que cela peut arriver à tout le monde. Sans jugement, mais avec sérieux. Les contradictions des institutions « totales » ont bien été démontrées par Goffman, particulièrement les tensions entre le prendre soin et les impératifs de sécurité et de contrôle social. Entre bientraitance et maltraitance (qui ne sont pourtant pas des termes contraires) il y a une palette avec une infinité de situations où doivent s’engager des réflexions éthiques, des pratiques de changement, des formations, des modifications de cadre. Il en va aussi de l’avenir du travail social.
Bibliographie :
Frédéric Mennrath : Violences en institution, bientraitance en situation, PUG, 2019, 248p.
Erving Gofman : Asiles, Les éditions de minuit, 1968, 452p.
