Les nombreux freins à la participation des personnes concernées en institution

La participation des personnes concernées est un enjeu qui m’a toujours importé depuis que je suis diplôme du travail social. J’ai essayé plusieurs années d’appliquer les directives des CVS dans un CHRS diffus, j’ai emmené des personnes accompagnées à des réunions du CCRPA (Conseil Consultatif Régional des Personnes Accompagnées) organisées par la Fédération des Acteurs de la Solidarité, j’ai été à l’initiative de réunions d’échanges collectives. Par la suite à mon poste de chef de service, j’ai tenté de mettre en place un système plus horizontal, tenant compte des aspirations du public. J’ai pu à ces occasions expérimenter les nombreux freins à la réalisation d’une réelle participation dans les institutions au fonctionnement classique. Je cite en référence le très bon article de Fabien Toulemonde qui a pu montrer différents niveaux de participation. Celle que je cherche ici est une participation avec co-élaboration et de voir si elle est compatible avec des contextes de grandes organisations très hiérarchisées et avec de nombreux services et dispositifs.

A Strasbourg, l’association Association L’Îlot – Strasbourg est un exemple d’organisation qui a adapté son fonctionnement global pour rendre la participation des personnes centrale et permanente. Réunion de résidents fréquentes, participations aux embauches des salariés, participation aux formations des travailleurs sociaux. J’aurais voulu adapter cela dans mon expérience professionnelle plus récente, mais pour ce faire, j’aurais du m’extraire de nombreuses contraintes institutionnelles. Le contexte de deux organisations à la taille et au fonctionnement différent ne peut être facilement transposé. La première condition est déjà que cette question de la participation des personnes concernées soit centrale pour toute l’organisation. Or, j’ai eu cette sensation d’avoir porté cette question bien seul pendant de nombreuses années. Lorsque peu de collègues prennent le temps de participer à la diffusion des informations sur la tenue d’une réunion, son importance, ses enjeux. Lorsque la Direction ne semble pas placer cette question comme une priorité mais comme une contrainte parmi d’autres. La première condition de la mise en place d’une réelle participation des publics est donc que l’enjeu soit central pour toute la chaine hiérarchique, du Directeur aux personnels de proximité, sans oublier les services supports (agents de maintenance, comptables) et que cette question soit portée collectivement.

Une deuxième limite est liée aux représentations des professionnels sur les personnes que nous accompagnons. En effet, voir avant tout les personnes sur l’angle de leurs manques, de leurs inconstances, de l’écart de leur comportement avec la norme, c’est préparer nos esprits à la non participation. Pour qu’une participation réelle soit envisageable, il faut d’abord voir les personnes concernées comme capables. Oui bien entendu, leur parcours de vie a de nombreuses conséquences, mais sachons aussi reconnaitre la force de résilience qu’il faut mettre en place pour résister aux évènements traumatisants. Certains adoptent des stratégies de défense absolument nécessaires dans un contexte de violence comme celui de la rue, de familles au contexte toxiques. La débrouille du quotidien dans ces parcours demande une capacité d’adaptation à tout moment qui est une grande qualité. Sous les effets de la stigmatisation ils se construisent une représentation du monde qui mérite d’être considérée. Pour cela le travailleur social doit prendre ses distances avec ses propres représentations. Il n’est pas là pour rendre autonome des gens qui ne le seraient pas. Il est là pour accompagner des personnes en tenant compte de leurs aspirations. Lorsqu’une personne accompagnée s’exprime, il faut que cette expression soit entendue, suivie d’effets concrets sinon elle tombe dans l’oubli. Le travailleur social ou l’institution de sont pas crédibles et promeuvent des valeurs dans l’idée sans les incarner.

Enfin une troisième limite est liée aux contradictions des fonctionnements. En effet, comment demander aux publics de participer lorsque ce point est indiqué en article 7 ou 8 dans le contrat de séjour ? Comment mettre l’accent dès l’admission sur le cadre et le respect du règlement et en même temps promouvoir une réelle participation ? Pour être crédible, la participation devrait être le point numéro 1 du règlement de fonctionnement et du contrat de séjour. D’ailleurs, normalement les règlements ne devraient pas pouvoir être modifiés sans participation des personnes concernées. Cela pose la question du pouvoir. Prendre conscience que les personnes accompagnées sont dépendantes du pouvoir que nous exerçons. Adopter une éthique où l’influence de ce pouvoir devra diminuer ou plutôt se vivre de manière plus diffuse. En effet, les apports des sciences humaines nous montrent qu’il y a toujours du pouvoir dans les organisations. Il y a l’exemple très connu de l’entreprise américaine Morning Star qui s’est passée complètement de managers. Il a été montré que cette configuration n’empêchait pas un certain exercice du pouvoir. Il est simplement plus adapté aux objectifs fixés par les associations qui travaillent dans le soutien aux personnes en situation de précarité sociale. Ainsi nous diminuerions l’effet du « pouvoir sur » pour valoriser le « pouvoir de ». En rééquilibrant ainsi les relations, c’est aussi les objectifs des services qui pourraient être transformés. C’est aussi éventuellement des conflits qui pourraient être régulés autrement que par des arrêts d’hébergement.

Ces quelques éléments sont un début de réflexion sur le sujet et je serai intéressé par les apports de tout lecteur intéressé par cette question pour affiner notre connaissance mutuelle.

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