J’ai assisté à une conférence forte intéressante au sujet de la laïcité, ce principe de la république si central et qui pourtant provoque de vifs débats jusque dans la dite conférence. Il faut dire qu’avec ce principe, la France est bien seule à défendre son modèle, qui synthétise le difficile équilibre entre la liberté de croire ou non et la neutralité de l’Etat face aux cultes. Il synthétise aussi l’histoire entre l’héritage chrétien (petite fille de l’Eglise) et celui de la révolution française et de ses valeurs. Jean-Paul Willaime qui commente les ouvrages consacrés aux Lieux de mémoire, insiste sur la tension de « deux imaginaires », de « deux sacrés »: celui de la France « fille aînée de la République » et celui de la France « fille aînée de l’Eglise ». Et il considère qu’aujourd’hui une réconciliation de ces deux imaginaires génère une « religion civile à la française » catho-laïque ou oecuménico-laïque. Lors d’une semaine où le représentant du principal culte historique français décède, la petite polémique émerge de la question des drapeaux en berne. J’écarte rapidement l’argument diplomatique, je ne suis pas certain que les drapeaux se mettent en berne lors des décès de tous les chefs d’état. Il y a donc bien là un acte de solidarité de la République française face à sa religion historique.
Si nous en restons juste à la loi de 1905 d’un point de vue juridique (non appliquée dans les départements où je vis et ai grandi), les choses sont assez clair. Tant qu’il n’y a pas de troubles à l’ordre public, le citoyen français ou résident en France a le droit de pratiquer sa religion et cela même dans l’espace public. La laïcité n’est donc pas l’effacement des religions. La République va même jusqu’à salarier (très petitement certes, mais quand même) les ministres religieux dans les lieux fermés (prisons, hôpitaux, corps d’armée, collèges et lycées avec internats) au nom de la liberté de pratiquer.
L’autre point, c’est la neutralité de l’Etat dans sa relation aux cultes comme le dit l’expression de Victor Hugo « l’Eglise chez elle et l’Etat chez lui ». C’est une garantie importante car elle permet l’égalité des citoyens devant la loi et leur non discrimination devant les droits.
Cependant, si l’Etat est neutre, qu’en est-il des associations qui œuvrent en délégation pour des missions de service public tels de nombreux Etablissements sociaux et médico-sociaux ? Dans la pratique, beaucoup se sont sécularisés, même si au départ ils ont émergé d’un mouvement religieux. A aucun moment les pratiques ne semblent imposées, même dans ceux bénéficiant de la présence d’une aumônerie. L’intérêt des croyances pour certaines organisations est celui du sens global et de l’éthique. Sur quels principes d’actions les professionnels vont se coordonner ? Nous pourrions schématiser ainsi
Croyances religieuses initiales ->valeurs fondamentales partagées ->principes d’actions ->projets (établissement/service)
Les religions chrétiennes ont l’avantage d’avoir, d’une manière ou d’une autre, trouvé un compromis avec les valeurs de la République dans une forme d’œcuménisme des droits de l’homme. Mais les droits de l’homme en général ne semblent pas suffisants pour se créer un « nous » en action, facilitant la cohésion et la coopération. Comme le précise Durkheim dans « les formes élémentaires de la vie religieuse » : Un groupe social a besoin de se représenter son unité sous forme sensible, la médiation des signes permettent la communion humaine. Ce statut ne s’applique d’ailleurs pas qu’aux religions établies, sous réserve d’une vigilance aux dérives sectaires. Des principes philosophiques plus généraux peuvent être adoptés, mais en tous les cas, j’observe une meilleure santé organisationnelle dans les institutions où un langage commun et des références communes sont partagées entre conseil d’administration, Direction et professionnels de terrain.
Les établissements sont-ils pour autant épargnés par les débats autour de la laïcité ? Car comme le précise l’historien et sociologue Jean Baubérot, il n’y a pas qu’une seule laïcité en France mais 7. Il indique aussi dans son ouvrage le glissement progressif de la laïcité d’une conception de gauche à une conception plus identitaire. La neutralité, si elle est inscrite dans les textes, n’est pas possible dans les têtes. Alors au risque de favoriser certaines croyances au détriment d’autres, que faire ?
Une première priorité devrait être de favoriser la liberté et l’autodétermination en tout point dans le fait de croire ou non.
Ensuite, définir des logiques d’actions qui partent de grandes valeurs (véhiculées par des religions ou non) et consolider l’équipe professionnelle. Symboliser à travers des temps d’équipes, des créations communes. Adhérer à des valeurs ne fait pas de vous un croyant.
Parler du fait religieux et des croyances avec les publics dans le respect de l’opinion des autres. Les inviter à s’informer sur les débats de société en lien avec les croyances ( sexualité, fin de vie, place des femmes… ) Et du coup être formés aux entretiens épistémiques, avoir soi-même une conscience de ses propres croyances et une réflexivité.
Bien entendu, préserver les personnes vulnérables des mouvements extrémistes ou sectaires pratiquant des formes d’emprise. Dans ce cas il ne s’agit plus de croyances mais de pratiques répréhensibles.
En tous les cas, le débat n’est pas terminé sur cette question. C’est une réflexion à chaud, faite de constats et de quelques lectures sur le sujet. Avoir une vue sur la relation aux croyances dans d’autres pays du monde permet aussi de nous décentrer d’une vision franco-française.
Bibliographie :
Jean-Paul Willaime « De la sacralisation de la France. Lieux de mémoire et imaginaire national ». Archives de sciences sociales des religions, 1988 p125-145
Emile Durkheim « Les formes élémentaires de la vie religieuse ». PUF, 678p.
Jean Baubérot « Les 7 laïcités françaises, le modèle français de laïcité n’existe pas ». 2015, 175p
